Seul ce qui brûle

de Christiane Singer, Albin Michel

Ce livre a obtenu le prix de la littérature française en octobre 2006
 
L’écriture d’abord : vibrante, limpide, pure, lumineuse comme une eau de source. Des phrases courtes et incisives, tranchantes comme de l’acier, en même temps que douces comme une caresse. Un art du récit flamboyant qui fait chanter nos imaginaires, nous rend plus lucides, plus exigeants aussi. Le thème principal : celui de l’amour absolu capable de transcender l’injustice, de dépasser la violence la plus cruelle, de régénérer celui qui s’est laissé entraîner dans la spirale de la haine et de la vengeance. Autres sujets traités : la féminité, le miracle de l’écoute, la transmission d’âme à âme, les pouvoirs de la pensée, de l’imaginaire et de nos représentations.
 
Avec ce nouveau roman, Christiane Singer continue à nous initier à tout ce qui fait la profondeur de son travail de thérapeute. Elle nous émerveille par son talent de conteuse imprévisible, d’écrivaine sublime.
 
De même nous dit-elle « que la naissance et la mort ne se déroulent pas dans l’ordre que l’on croit », l’amour ne se dévoile pas non plus nécessairement de l’étonnement au plaisir, de la confiance à l’abandon, de l’apprivoisement à l’apaisement.
 
Son héroïne Albe a su dès le premier regard qu’il a posé sur elle, que son prétendant, celui qui deviendra son mari, puis son bourreau, lui apprendrait la ferveur de l’amour. Cet homme va découvrir que la souffrance voyage toujours à la recherche d’êtres à dévorer, que la place qu’elle occupe en chacun n’est pas suffisante, qu’il lui faut se déposer sur d’autres. « Une immense souffrance voyage dont chacun cherche à se décharger sur un autre comme dans ce jeu d’enfant où il faut à tout prix se débarrasser d’un sac noué où est enfermé le diable. »
 
Christiane Singer, avec l’attention aiguë qu’elle porte sur les êtres et les choses, sait comme personne nous faire entrer dans les labyrinthes complexes de l’alchimie amoureuse, pour que s’accomplisse en chacun l’accès au meilleur de lui. Au divin en lui. Elle nous parle d’une époque où l’on enseignait le mariage aux jeunes filles, où l’on développait la vocation brûlante d’être une femme, où l’on cultivait la ferveur de l’amour donné et reçu. Un temps où l’on apprenait à ne pas feindre d’aimer pour garder une foi inébranlable dans ses propres sentiments sans se laisser entraîner par les errances de l’autre. « Tu seras le jardin sous l’averse » de ton époux. « Il y a vaste récolte dans le jardin des femmes. » Tel avait été le message que la brave, la bonne et sage Rosalinde avait transmis à Albe, sa colombe.
 
Le mari d’Albe, seigneur redoutable, pétri d’orgueil et de certitudes, blessé dans ce qu’il croit être une trahison, enfermé dans son malheur et nourrissant chaque jour sa blessure, va mettre longtemps à découvrir les renoncements nécessaires pour aller au-delà de ses peurs, une fois délivré de l‘abîme de flammes dans lequel il s’est consumé sans résidus. Combien faut-il d’années d’errances et de nuits et de jours de désespérances pour oser vivre une tendresse gratuite à pleine temps, un amour à plein plaisir, sa vie à pleine abondance ? Et pour rester libre. « Et ne pas haïr c’est échapper à tout châtiment. »
 
C’est par le regard et l’écoute d’un tiers en position d’intercesseur, un visiteur inattendu, qu’il va pouvoir sortir de son propre enfermement alors qu’il pensait n’avoir puni et avili que son épouse. Il sera rendu à sa propre respiration, à une conscience plus agrandie quand il entrera dans les vibrations de l’amour. Quand il entendra enfin que chacun peut rester fidèle à lui même sans être infidèle à l’autre et qu’il parviendra à vivre un amour reconnaissant « apaisé, sans contour et sans fond ». « À force d’être ouverte et béante et vide, à force de laisser passer à travers elle et la vie et la détresse et la prospérité et les enfants et les cavales indomptées du désir, elle a obtenu de moi ce qu’elle n’a même pas pris la peine d’exiger : une totale reddition. »
 
Christiane Singer nous donne une magnifique leçon de vie et plus encore, elle nous guide vers la spiritualisation de nos expériences les plus destructrices. Elle retrace les étapes d’une descente aux enfers et les affres de la « la vénération portée à blanc qui fait le meurtrier » puis l’échappée vers la lente transformation d’une folie amoureuse fondée sur la tentation de posséder l’aimé(e), en un amour en réciprocité, dans l’abandon de soi à l’accueil inconditionnel de l’autre.

Jacques Salomé